Chapitre 4

Catégories inusuelles

Le parcours entrepris par les ethnologues en relation à la description et au jugement des peuples dits “primitifs” est de grand intérêt.

On est arrivé à une meilleure compréhension (à une description positive) de certains peuples en prenant de la distance à l’égard de nos propres catégories mentales.
Cela nous a permis de prendre confiance à l’égard de certaines catégories énonciatives si étranges pour nous, même difficiles à comprendre (voir la modération).

En effet, les notions de reconnaissance et de modération font surgir en nous un sentiment ambigu parce qu’elles renvoient à la notion de passivité et, plus généralement, à une vision de la vie et de nous-mêmes qui ne nous ressemble pas, à l’époque actuelle qui n’est déjà plus celle de la modernité industrielle.

Je fais donc l’hypothèse que la distance, qui n’est surtout pas d’ordre hiérarchique, entre nous- mêmes et ces peuples dits “primitifs”, est en rapport avec l’emploi de catégories énonciatives qui nous sont propres, bien différentes de celles qui caractérisent leur société. Mais, elles ne manquent pas d’attrait à nos yeux aujourd’hui.
Il n’est pas question de s’approprier, d’utiliser des catégories énonciatives autres que les nôtres, car il faudrait, plus radicalement, non pas changer notre façon de penser (ça, évidemment, ne se réalise pas à la commande!), mais admettre qu’elle a déjà changé sans que nous nous en apercevions.

Je dirais que la distance entre nous-mêmes et ces peuples dits “primitifs” est en rapport avec la préférence que, à la différence d’eux, nous éprouvons pour une “complétude” dont la visée de “toujours plus” est un exemple. Elle est imaginaire et s’oppose au sentiment d’“incomplétude” qui admet, ce qui pour nous constitue un “manque”, une absence, de même que la ré-union, la reconnaissance, propres au registre du symbolique, registre au contraire bien présent chez les sociétés archaïques.

Il est clair que les ethnologues employaient, pour penser et décrire les peuples archaïques, les catégories de la “complétude”: comment expliquer autrement l’aveuglement (par exemple de Gusinde) qui ne lui permettait pas de percevoir les contradictions entre la description présumée objective d’un fait et son jugement?

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