Chapitre 2

Catégories énonciatives


Mon travail débuta donc (et ce n’est pas par hasard) par un échec, un défaut, quelque chose qui “manque”. Mais l’insuccès m’a montré la nécessité de changer de plan d’analyse.
Ainsi, il ne s’agit pas de prendre comme objet d’étude une population, celle des “inactifs”, il s’agit de réfléchir sur les catégories par lesquelles on les classifie (en démographie et en sociologie, par exemple) comme des “inactifs”.
Il faut donc passer de l’étude de certaines populations ou groupes sociaux, considérés comme “objectivement” existants, à l’analyse de la façon par laquelle nous les classifions, les définissons, les énonçons. Nous partirons de l’hypothèse que les données dites “objectives” sont toujours “objectivées”.
Catégorie, disions-nous, n’est pas à entendre ici au sens d’Aristote ou de Kant, ni même de Weber. Il s’agit des critères (ou catégories) par lesquels nous pensons, selon les deux registres, l’Imaginaire et le Symbolique.

“Objectivité” et “objectivation”

Quand nous parlons, à savoir quand nous énonçons le monde, nous le mettons en ordre: à chaque langue correspond une “mise en forme” ou une particulière organisation du monde (Benveniste, 1966).
Parler, ce n’est pas seulement informer sur quelque chose (la langue n’est pas un code): “dire, c’est faire”, explique Austin (1970). Certes, le monde existe “objectivement”, mais s’il n’est pas énoncé, parlé, il n’a pas de sens pour nous.
Le sujet qui énonce fait “être” par la langue et ses règles (Searle, 1972) ce qui, sans cet acte d’énonciation, n’existerait pas, du moins pour lui, sujet énonçant.
C’est donc parce que nous mettons en ordre le monde d’une certaine manière, que nous l’énonçons à travers certaines catégories, que la société se trouve clivée, à l’époque actuelle, entre “actifs” et “inactifs” et que l’univers de la production et du travail s’oppose à l’univers de la non-production et du non-travail.
De plus, on pense d’habitude que les inactifs existent “objectivement”, avec les caractéristiques spécifiques par lesquelles nous les identifions et les définissons (les chômeurs sont des “incapables”, dit-on).
L’anthropologie nous avait déjà appris que les caractéristiques –négatives– par lesquelles pendant longtemps on a désigné les “primitifs” ne leur appartiennent pas en propre. Aujourd’hui nous admettons que ces caractéristiques sont en rapport avec des critères qui ne sont certes pas “objectifs”, en raison des catégories mentales par lesquelles nous énonçons ces populations: les désignant en effet toujours par des “moins”, avec des “sans” (populations “sans écriture”, “sans état”, “sans pensée logique”, etc.).

Cependant, le travail qui a été fait en anthropologie, amenant à une évaluation positive des dits “primitifs”, n’a pas encore été fait en sociologie, en ce qui concerne les “inactifs”, qui pourtant constituent une partie considérable de la société actuelle.

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