“Délimitation” symbolique et lien imaginaire
Nous avons observé que, si à l’époque pré-industrielle les liens se constituaient à travers la communauté de voisinage, la famille, les corporations professionnelles et les confréries religieuses, ces liens vont se nouer de plus en plus, dans ce lieu de travail qu’est la manufacture, par des notions telles que la “validité” au travail en tant que “non-infirmité” (-H), tout d’abord et, ensuite, par le “contrat” et le “droit du travail”.
Ce qu’il nous intéresse d’observer ici, c’est le parcours qui mène d’une énonciation effectuée selon le registre de l’imaginaire –le contrat– à une énonciation qui revient –pour un temps– au registre du symbolique, à travers la notion de “délimitation” –le droit du travail–.
Du contrat de travail au droit du travail
Nous voudrions présenter ici le contrat comme une production de la notion d’individu qui, autonome, négocie avec d’autres. D’après le Code Civil, en effet, le contrat de travail met en présence deux individus considérés comme deux volontés libres en leurs droits qui, autonomes et indépendants, sont situés dans une relation duelle, excluant toute instance extérieure et engagés seulement par rapport à eux-mêmes.
En revanche, il apparaît que, en droit du travail, il y a un juge qui fonctionne comme médiateur, se situant en “tiers” entre les deux contractants: ainsi, ceux-ci ne peuvent plus se penser comme des volontés libres. Leur “indépendance” –imaginaire– se découvre comme inter-dépendance des lors qu’elle est symboliquement médiatisée.
Dans le cas de la France, le “contrat de travail” établit la relation entre la prestation de travail et la rémunération (salaire); il ne prend pas en compte le contexte, à savoir les conditions du travail, comme par exemple le montant minimum de la rémunération: les signataires sont censés contracter librement et en toute connaissance de cause. Par exemple, si l’ouvrier accepte de travailler un nombre exorbitant d’heures en contrepartie d’une certaine somme, même très basse, en cas de litige le tribunal n’est habilité à intervenir que sur l’aspect formel du cas, mais non sur les circonstances de l’établissement du contrat ni sur son contenu. Tout se passe, donc, comme si le signateur et le signataire étaient deux volontés parfaitement libres, situées sur le même plan: nous nous trouvons devant ce qu’on a appelé la “fiction” de deux individus contractant librement, imaginairement pris dans un rapport uniquement duel et engagés seulement par rapport à eux-mêmes.
La définition des individus libres va même très loin car le contrat, comme auparavant le “louage de services”, suspend l’applicabilité des règles de la responsabilité civile de droit commun, où tout un chacun est responsable (Ewald, 1981). En effet, dans les cas de louage de services, l’employeur n’est pas responsable, par exemple, des accidents qui peuvent survenir: s’il se doit de respecter l’échange heure-travail/salaire, il n’est tenu à rien d’autre. Dès lors, s’il “se porte au secours de ses ouvriers, il accomplit cet acte selon les principes de la bienfaisance ou de la charité”: l’entreprise, avant la loi des accidents du travail, n’avait pas d’obligations sur le plan juridique.
C’est la loi des accidents du travail qui met –juridiquement– en cause l’entreprise et la définit en même temps comme entreprise, à travers la notion de responsabilité (cf. la notion de “dette symbolique”).
Ainsi, le 21 Juin 1841, l’arrêté du tribunal qui accepte le recours de l’ouvrier en matière de sécurité contre le patron et oblige celui-ci à réparer les dommages causés à autrui, (comme indiqué du reste dans le Code Civil), cet arrêté casse la “fiction” de deux individus contractant “librement”, ce qui veut dire en dehors de tout contexte, et permet de voir ce qu’il en est de leur “liberté” présumée, dès lors qu’un “tiers”, juge ou tribunal, est appelé à statuer non seulement sur la forme du contrat –comme auparavant (pour décider si celui-ci a été honoré ou non)– mais, en amont, sur son contenu et son contexte. La loi des accidents du travail (1898), qui a suivi l’arrêté de 1841, institutionnalise donc la figure du “tiers”, qui coupe symboliquement la relation entre les deux contractants (dans ce cas l’ouvrier et le patron); ceux-ci ne sont plus à penser comme deux individus souverains en leurs décisions.
En la “coupant”, le tiers élargit, d’une part, la relation auparavant duelle et permet, d’autre part, à l’entreprise de se constituer comme telle, à savoir, au moment où elle joue le rôle de “tiers” :
“C’est l’avènement d’un nouveau type de rationalité”… l’accident du travail... n’est plus référé à la volonté de l’un ou de l’autre (patron ou ouvrier), mais est analysé comme condition objective de la production industrielle” (Ewald, 1979).
Quant à moi, plutôt que de parler de condition “objective” qui est, en fait, toujours “objectivée” (F. Ewald lui-même l’admet), j’aimerai signaler le passage qui s’effectue, à ce moment, d’une relation qui, pensée comme duelle est énoncée sur le plan de l’imaginaire, à une relation où l’énonciation est médiatisée par le “tiers” symbolique qui “coupe et sépare”.
L’entreprise entre dès lors en scène comme personne morale, responsable des risques encourus par l’employé.
C’est au moment où l’entreprise commence à exister qu’elle devient responsable de l’ouvrier qui y travaille.
La loi du droit du travail montre que les catégories énonciatives à l’œuvre sont ici l’inter-dépendance (médiatisée symboliquement à travers le “tiers”), ainsi que la dette (de l’entreprise envers ses salariés). Cette loi montre donc le glissement que subissent d’une part la notion d’individu –qui cesse, en droit du travail, de pouvoir se prendre pour une volonté libre– d’autre part, la notion de “contrat” qui, en “droit” du travail, s’énonce à partir des limitations imposées à l’ancien contrat.
En fait, le droit du travail éclaire ce qu’est le droit: une délimitation d’ordre symbolique, selon la définition du juriste et analyste français P.Legendre (1977):
«Le droit intervient car il n’y a pas de limites dans la nature. Rien ne sépare la terre de la trace de la mer, sinon le mouvement même de la mer: la limite est le mouvement des vagues».
Et encore:
«Le droit est ce qui doit séparer la mer du rivage par une ligne probablement imaginaire. Le droit suit cette ligne qui divise le réel selon ses représentations, comme la vague avance et se retire». Il est important de concevoir le droit non seulement comme une avancée (en termes de revendication de droits), mais surtout comme une délimitation (en termes de dette symbolique).
Le droit, loin d’être une notion (imaginairement) “positive” est à concevoir comme une notion négative. Si, selon Locke, il est censé sauvegarder les biens des propriétaires (revendication des droits) –notion perçue comme positive– en fait, et bien en amont, il sert à les délimiter, (c’est-à-dire à les séparer), à les énoncer, les faire être: c’est parce que le droit civil délimite qu’il énonce (fait être) la propriété (à sauvegarder). C’est parce que le droit du travail délimite, qu’il énonce (fait être) l’entreprise, reconnue comme “personne morale” lors de la loi des accidents du travail.
La catégorie de la séparation apparaît donc comme constitutive: rappelons de nouveau le mythe du “Hau” et la figure de “C”, le tiers symbolique. C’est cet aspect qui devrait être pointé quand on cite la date d’avril 1898, relative à la loi des accidents du travail: pour cette raison elle constitue en France une référence importante dans l’histoire du rétablissement des liens. Elle montre que les liens se font donc en relation avec la déliaison, sur le plan du symbolique (Blanchot, 1983, qui parle de “principe d’insuffisance”) et non pas en tant que liaison, sur le plan de l’imaginaire.
Malheureusement, l’emploi habituel des catégories de la complétude continue à donner du contrat une définition positive, comme s’il surgissait d’un apport et non d’une délimitation.
“Faute” et responsabilité: l’épargne, prévoyance individuelle
Ainsi, de nouveau, c’est sur le plan de l’imaginaire qu’a été énoncée la notion de prévoyance individuelle. Les présupposés de ce système étaient fondés, en effet, sur le besoin de prévoyance de la part de l’individu qui travaille et qui, anticipant le moment où il ne pourra pas ou plus le faire, doit se mettre en condition de subvenir à ses besoins futurs: il est donc vivement incité à épargner.
Ces présupposés sont en fait les mêmes que ceux qui fondent le contrat de travail défini par le code civil, car les uns et les autres sont formulés en termes d’individu autonome et indépendant, responsable de son sort, de sa vie, de ses actes et fautif, en conséquence, dès lors qu’il ne fait pas preuve de capacité de maîtrise de sa destinée.
Depuis 1789, chacun naît “libre et responsable”, c’est-à-dire, doit suffire à soi-même. Nous avons observé qu’en France la société, de même que l’entreprise, n’ont pas, jusqu’en 1898, d’obligations sur le plan juridique envers l’individu au travail qui est, seul, “responsable”. La notion de “faute” le dit bien: par exemple, celle de l’ouvrier qui serait à la source de l’accident dès lors qu’il “ne fait pas assez attention”. Cela signifie que l’individu est censé être toujours a même de maîtriser l’environnement, “faute” de quoi il est “coupable” (“fautif”).
De la même façon, l’individu est censé être responsable de son sort: c’est pourquoi, disions-nous, il se doit d’épargner pour ne pas encourir la faute d’avoir à dépendre de quelqu’un. D’ailleurs, rien n’engage l’autre à lui porter secours sauf sur le plan moral (mais non juridique).
“Risque” et “partage”: la prévoyance sociale
Il faudrait analyser plus longuement que ce propos ne l’exige ici, le passage de l’accentuation des notions de “responsabilité” et de “faute” à celle de “risque”. Cette notion va entamer la croyance en la belle complétude de l’individu qui doit pouvoir tout maîtriser et dont on pense qu’il est “fautif” quand il ne le fait pas. Si la vie n’est pas sûre mais comporte des risques en permanence (car l’on peut perdre le travail, avoir des maladies et que, de toute façon, on va vieillir et donc quitter le travail), cela signifie que la maîtrise de l’individu sur son environnement ne peut être qu’imaginaire.
En conséquence, admettre que vivre est un “risque” signifie prendre en compte la dépendance d’un contexte que l’on ne peut pas dominer.
Cette notion montre la prise en compte du contexte en ce qu’il est dangereux, contre lequel l’homme, qui en est la victime, ne peut pas grand-chose. Ainsi, la conscience d’une fragilité commune pousse les individus au partage des “risques qu’ils encourent en vivant” (comme disait un interviewé) et les incite à organiser les premières mesures dites de “prévoyance sociale”.
A la date d’avril 1898 (Loi des accidents du travail, précédée par l’arrêté de 1841), il faudrait en ajouter une autre qui la précède: celle de la mise en place, de nouveau en France, de la Caisse de Retraite prenant en compte les “risques” provoqués par la vieillesse (1850). La création de liens, donc, se fait maintenant au moyen de la mise en place d’un système de “protection” lié au travail car assis sur le régime professionnel (les cotisations sont financées à la fois par les employeurs et les salariés).
Ces événements historiques, énoncés en termes d’accidents l’un, de risques l’autre, signalent surtout que l’individu n’est plus à penser comme un sujet tout-puissant: c’est en réalisant qu’il ne peut faire face tout seul aux “risques”, qu’il est amené à les partager. La fragilité du “sujet à risque”, amène ainsi à prendre conscience d’une situation d’(inter)dépendance symbolique, bien éloignée de la toute-puissance –imaginaire– attribuée à l’individu: sur le plan de l’imaginaire, l’idée de dépendance est insupportable.
Ainsi, plutôt qu’à la notion de dépendance et, je dirais, pour –inconsciemment– l’évacuer, l’individu est amené à attribuer à la société la puissance qu’il pensait, auparavant, détenir lui-même. Il se servira pour cela de la science statistique.
Risque et causalité: les assurances
En effet, si l’on ne peut pas dominer toujours le danger, l’individu estime maintenant qu’il peut le prévoir “scientifiquement” par de nouvelles techniques. Fondées sur les notions de moyenne et de régularité, celles-ci permettent la prévisibilité.
Relevant l’importance du passage de ce qu’il appelle le “savoir moral” au “savoir statistique”, F. Ewald remarque que:
« Il ne s’agit plus, dit-il, d’apprécier des conduites, mais d’établir des régularités indépendantes de la volonté des individus. A la notion de responsabilité individuelle se substitue l’assignation de causalités économiques, objectives » (Ewald, 1979).
De ce fait, à la “responsabilité individuelle” on peut substituer “l’assignation d’une causalité” qui dépasse l’individu. Toutefois, l’énonciation continuant de se faire, malgré la notion très instructive de risque, sur le plan de l’imaginaire, ce n’est donc pas en termes de partage entre des individus dépendants d’un même contexte que l’on se protège des risques, mais par la référence à la société et à ses institutions: elles sont censées combler –imaginairement– la perte de la toute-puissance attribuée auparavant à l’individu.
Ainsi, de même qu’en ce qui concerne les accidents ce n’est plus l’individu, mais l’entreprise qui est tenue pour co-responsable, de même c’est aux institutions –à l’Etat– que la notion de risque renvoie maintenant.
Dans les deux cas toutefois, des accidents du travail et de la prévoyance sociale (dans le deuxième bien plus nettement encore que dans le premier), nous observons un glissement de l’énonciation. Alors qu’elle devrait s’articuler sur le plan du symbolique, par les catégories de la séparation (premier cas) et de la dépendance (deuxième cas), elle se fait en privilégiant le plan de l’imaginaire: ici, les catégories de la complétude évacuent toute idée de dépendance, c’est-à-dire de perte de l’autonomie et de l’indépendance propres à la définition de l’individu.
En effet: d’une part, si l’énonciation des droits du travail, qui dépassent la notion de contrat individuel, mobilise le plan du symbolique (cf. le “tiers” qui coupe le rapport duel), elle est toutefois vite pensée sur le plan de l’imaginaire, ce qui permet d’évacuer toute dépendance symbolique (le droit du travail est considéré comme un apport positif).
D’autre part et en conséquence, si l’énonciation de la protection ou de la prévoyance par le partage des risques signale la fragilité de l’individu dépendant symboliquement d’un contexte dangereux, toutefois cette énonciation est aussi tôt reconduite à l’imaginaire de la maîtrise non plus individuelle mais sociale: on a vu, en effet, que le partage avec devient assurance contre, ainsi que droit à cette assurance.
Dans ce cas, le “sujet à risques”, (sujet en “creux”), vivant dans une situation de dépendance (à l’égard d’un “contexte dangereux”), se rassure à travers les notions de “moyenne” et de possibilités de prévision (offerte par la régularité de la moyenne). A ce moment, l’individu est en mesure d’opposer au “contexte dangereux” un “bon contexte”, constitué par la société appelée à faire échec au “mauvais contexte”, à travers les méthodes qui permettent d’en déjouer les dangers.
Ainsi, quand à la notion de prévoyance individuelle (et de “faute” dès lors que l’on n’est pas prévoyant) se substitue non pas la prévoyance sociale, (fondée sur le partage des risques avec les autres) mais l’assurance et le droit d’être assuré (contre ces mêmes risques), à ce moment, la société est obligée de prendre en charge les risques encourus par l’individu. Cela arrive dans tous les cas, soit que les risques soient liés au travail de façon directe (les accidents), soit qu’ils le soient de façon indirecte, comme il arrive, par exemple, pour les risques qui sont en rapport avec la vieillesse, énoncée alors comme vie usée au travail.
De ce fait, les liens se reconstituent en France, cette fois-ci, dans une société qui va «se concevoir elle-même –dit toujours F. Ewald– comme une vaste assurance», sur un plan qui est incontestablement celui de l’imaginaire, où toute faille doit être suturée et tout manque, comblé.
Le système de protection-vieillesse (l’exemple de la France)
En 1910, la loi sur les retraites ouvrières et paysannes établit un système fondé, tout d’abord, sur la “capitalisation” (système dans lequel chacun constitue pendant la vie active une épargne qui doit servir à payer sa propre retraite future). Il s’agit d’un système d’épargne individuelle, financé par des apports à la fois patronaux et ouvriers. Les cotisations sont obligatoires pour les salaires se situant au-dessous d’un certain plafond de ressources. Jugée insuffisante, une nouvelle loi obligera, en 1930, tous les salariés du commerce et de l’industrie à s’affilier à une assurance vieillesse. Cette fois, l’assurance est fondée sur un régime mixte, de capitalisation et surtout de répartition (système dans lequel les pensions de retraite sont assurées par les actifs qui paient pour les retraités). Si les plus démunis sont aidés par les “Allocations aux vieux travailleurs salariés” (les AVTS, créés en 1942), financées en partie par la société des actifs, les personnes ayant des revenus supérieurs au “plafond” salarial de ressources doivent s’adresser à une assurance privée.
Le système de répartition sera à la base de l’ordonnance du 4 octobre 1945 instituant la Sécurité Sociale ainsi que les régimes de pension de vieillesse au profit des bénéficiaires de celle-ci, comme des assurances sociales régies par la législation de la fin des années ’20.
A ce moment on pourra dire que les “risques” sont partagés, pris en compte selon le registre symbolique.
Il est dès lors intéressant de remarquer que si l’énonciation des dispositifs pour la protection de la vieillesse, par exemple, se fait en commençant par prendre en compte la fragilité des “sujets à risques”, dépendants d’un contexte dangereux, on n’aura cependant de cesse que d’évacuer la possibilité même du danger, à savoir, ce qui relève du manque et de la perte.
D’où l’accumulation de dispositifs sociaux et l’intervention de plus en plus importante demandée à l’Etat, à travers la “revendication des droits”, dans le but d’être libérés de tout risque.
En fait, comme toujours, dès lors que l’imaginaire prend le pas sur le symbolique, l’action visant à réduire les pertes (cependant inaugurales et créatrices de liens) devient revendication de droit à ne jamais perdre. Le sujet ne se reconnaît plus en dette, le sujet “en creux” devient un sujet qui s’estime “fort” et revendique toujours plus de “droits”, ses “droits”, individuels ou corporatistes, à savoir, du corps social auquel il appartient.
C’est ainsi que la notion de “risque” conduit, à travers l’oubli de la dette symbolique, à privilégier la notion de “droits”: droit à la prise en charge de ces mêmes risques par l’imaginaire de l’Institution, de l’Etat.
Celui-ci se représente, en même temps, comme une instance “surplombante”, “coiffante”, en un mot, “aliénante”.
L’on assiste ainsi, à travers la revendication du “droit à la sécurité” et par une accentuation de l’action de “colmatage” des risques, au passage de l’Etat-assistance à l’Etat-providence (Rosanvallon, 1981) qui, né d’un “manque” (et non d’une situation “d’abondance”, comme on le répète) deviendra le “grand Tout” qui doit apporter une réponse à tout.
Exemple de rêve de Tout: la Sécurité sociale (France, 1945), née de la constatation d’un manque, elle devient aussitôt, et toujours davantage, rêve imaginaire de Tout (prendre tout l’individu en charge).
Chômage “involontaire” et responsabilité sociale
Une autre notion avait, au début du siècle, pointé la dépendance et montré, par là, comment les liens se renouent à travers le travail, par un processus que nous connaissons bien maintenant.
Il s’agit de la notion de chômage “involontaire”, que Marshal avait opposée à celle de chômage “systématique”, attribué, celui-ci, à “la mauvaise volonté” –à la faute– de l’ouvrier “fainéant”, alors que le premier prend en compte la notion de “contexte”.
Marx avait appelé “structurel” le chômage que Marshal a dénommé “involontaire”, expliquant qu’il est dû aux contradictions provoquées par les rapports de production propres à la société de marché et par les nouvelles formes de salaire socialisé. Le chômage structurel sera, par ailleurs, défini conjoncturel et opposé au chômage dont l’ouvrier est responsable.
L’emploi du terme involontaire est important. En parallèle avec l’histoire de l’accident (du travail), ces notions montrent, l’une comme l’autre, le passage de la “faute personnelle” (l’accident), de la “fainéantise” individuelle (le chômage), à la notion de “contexte” qui, considéré comme dangereux, dépasse de toute façon l’individu.
Malheureusement, l’énonciation qui se noue mobilisant les catégories du registre symbolique, dépendance et inter-dépendance (aboutissant à un partage des risques), est vite effectuée sur un plan imaginaire, en attribuant à l’ensemble de la société, à l’Etat cette fois, le rôle imaginaire d’acteur tout-puissant, le même que l’individu détenait auparavant.
Nous le disions, le procédé est toujours le même: désarticulation des deux registres (Imaginaire et Symbolique) par lesquels nous mettons en forme, en scène, la société et privilège accordé à l’imaginaire dans une époque qui, cependant, ne relève déjà plus de la modernité exclusivement industrielle et qui, sans que nous en ayons conscience, relève en fait de nouveaux paradigmes, trans-modernes.
Les conséquences sont ainsi escomptées: apparition et développement du “social” qui prend de plus en plus de forces en essayant en vain d’apporter des réponses.
Situées sur le plan imaginaire du colmatage, celles-ci apparaissent, disions-nous, d’une part décevantes –on n’arrive jamais à tout “combler”– et, d’autre part, inadaptées : elles ne dérangent pas le déploiement de l’économique (qui continue imperturbé à se développer, se trouvant allégé du poids de ceux qu’il exclut).
Ces personnes sont en effet prises en charge ailleurs, par des circuits parallèles ou “alternatifs”, en laissant intactes ce que les théoriciens de ces mouvements appellent “les mentalités”, qu’il est en effet illusoire de vouloir “changer” (Laville, 1998). On ne se rend peut-être pas compte que parler en termes de mentalité ne veut plus dire grand-chose, sauf de très vague et imprécis, car il s’agit bien plutôt des catégories à la fois de pensée et d’actes (“Dire c’est faire”) qu’il ne s’agit certes pas de changer, car elles ont bien déjà changé: en fait, c’est la conscience de ce changement qui nous manque.
Mais, refusant l’emploi d’autres moyens et d’autres savoirs, on est conduit à “bricoler” des “remèdes” ou à fabriquer des “alternatives” nouvelles qui, à l’image de “la nouvelle société” d’il y a quelques années en France ou du “nouvel ordre mondial” anglo-saxon plus récent, n’ont rien de nouveau. Tout simplement, parce que remèdes et alternatives sont toujours pensés, définis, mis en scène, par les critères moderne-industriels qui, imaginaires, rendent leur mise en acte décevante, sinon impossible.
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