Chapitre 13

Le parcours historique des “liens”


L’efficacité du symbolique: il me plaît de rappeler cette expression (Lévi-Strauss, 1949), en introduction à un historique des “liens”.
Nous allons revisiter l’histoire du point de vue des registres et catégories mentales qui la régissent, à commencer par le haut Moyen-Age, lorsque les catégories du symbolique ne mettent pas encore en scène des individus libres et indépendants, mais des sujets en réciprocité et inter-dépendance.
A ce moment, la population des “pauvres”, loin d’être en marge de la société, en fait partie intégrante. Conséquence: il n’était pas question de les “intégrer” et de les “socialiser”. Disons mieux, les “pauvres”, à ce moment, n’existent pas: ce terme, pour étrange que cela puisse paraître, ne sera employé en France que beaucoup plus tard, vers le XIIIème siècle (Duby, 1966, 1973).

Les “errants”, “faibles”, “doux et affligés”, ne seront donc définis comme “pauvres” qu’à cette époque, en attendant d’être, par la suite, des “brigands”, jusqu’à devenir les “classes travailleuses” originairement “dangereuses” des temps modernes et, actuellement, les “exclus” du travail et de la société tout court. Cela advient –voudrions-nous montrer– lorsque les critères d’ordre imaginaire prennent la relève des catégories du symbolique.

A l’aurore de l’époque moderne, en effet, au moment où les liens du “communal” se sont détendus, relâchés, ils vont se (re)constituer par les catégories de la complétude imaginaire propres de l’individu “indivisé”, autonome, seul responsable de son sort et coupable s’il ne sait pas agir d’abord sur lui –autrement dit s’il ne sait pas “être autonome”, “se prendre en main”, comme on dit– et s’il n’est pas capable d’agir sur les autres et sur la nature.
Cet homme produit dès lors les notions de contrat de travail, devenu ensuite droit du travail et malheureusement en ces derniers temps, ce n’est pas un hasard, droit au travail.
Ainsi, aujourd’hui c’est encore sur le plan de l’imaginaire que l’on définit les liens: c’est en effet toujours au travail que l’on s’adresse car, seul parmi les autres activités, il est censé faire du lien. Cependant, étant en diminution tout au moins sous la forme que nous lui connaissons, le “social” est appelé au secours à travers les dispositifs mis en place pour pallier, justement, au manque de travail et à l’exclusion que cela provoque.

Nous parlerons, donc, de la notion de travail. Cette activité a été tenue en mauvaise considération pendant des siècles et, revalorisée à une époque récente, la nôtre, elle est exaltée par dessus toutes les autres juste au moment où elle commence d’être, on le sait, en perte de vitesse.

On va parler aussi des comportements et attitudes, considérés d’habitude sur le plan “imaginaire” (c’est-à-dire la prévoyance sociale, les assurances, le droit du travail). Nous les voyons, en effet, comme des conquêtes de l’homme moderne, des assurances, des droits qui doivent devenir toujours plus universels, selon le principe de l’égalité.

En fait, ces amortisseurs sociaux ne peuvent advenir que selon le registre de l’incomplétude symbolique, énoncé par les catégories de l’ancrage et de l’inter-dépendance, la séparation et la délimitation, l’oblativité et la perte ou capacité à perdre. Mais ce n’est pas de ce point de vue que nous les regardons!

Enfin, même la production, qui désormais de plus en plus souvent signifie consommation, et s’allie au “toujours plus”, peut s’associer à l’idée d’oblativité symbolique.

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